Un message pour Marcia

 

Un public impatient se rassembla autour de Stanley. Ce dernier s’éloigna du coussin en boitillant, se redressa et demanda d’une voix chevrotante :

— Avant toute chose, y a-t-il ici quelqu’un qui réponde au nom de Marcia Overstrand ?

— Comme si tu ne le savais pas !

— Je dois quand même poser la question, Votre Grâce. Ça fait partie du protocole.

Passé ce préambule, le rat coursier reprit :

— On m’a chargé de remettre un message à Marcia Overstrand, ex-magicienne extraordinaire...

— Quoi ? fit Marcia en s’étranglant. Ex-magicienne extraordinaire ? Qu’est-ce qu’il raconte, cet imbécile ?

— Calmez-vous, dit tante Zelda. Écoutons d’abord ce qu’il a à dire.

Stanley poursuivit :

— Ce message a été remis à sept heures... (Il fit une pause, le temps de calculer le nombre de jours qui s’étaient écoulés depuis son départ. En bon professionnel, il s’était appliqué à marquer chaque jour de captivité d’un trait sur un des barreaux de sa cage. Il savait être resté trente-neuf jours chez Jack le toqué. En revanche, il ignorait combien de jours il avait passé au juste à délirer devant la cheminée du cottage de la gardienne.) Il y a de ça, euh, un certain temps, par un mandataire agissant pour le compte d’un certain Silas Heap, résidant au Château...

— C’est quoi, un mandataire ? interrogea Nicko.

Stanley tapa du pied, agacé. Il détestait qu’on l’interrompe, surtout quand le message était tellement ancien qu’il craignait de l’avoir oublié. Il toussa et reprit :

— En voici le texte :

 

Chère Marcia,

J’espère que vous allez bien. Pour ma part, je me trouve au Château. Je vous serais très reconnaissant de bien vouloir me rejoindre dès que possible à l’extérieur du palais. Il y a eu de nouveaux développements. Je vous attendrai chaque soir à minuit devant les portes.

Dans l’attente de votre retour, je vous prie d’agréer l’expression de mes sentiments respectueux.

Silas Heap.

 

— Fin du message !

Stanley retourna s’asseoir sur le coussin avec un soupir de soulagement. Mission accomplie ! Il avait probablement battu un record en matière de retard, mais il avait fini par délivrer son message. Il s’autorisa un petit sourire en coin, bien qu’il fût toujours en service.

Il y eut un long silence, puis Marcia explosa :

— C’est lui tout craché ! Non seulement il ne fait pas l’effort de revenir avant le Grand Gel, mais quand il se décide enfin à donner de ses nouvelles, il ne mentionne même pas mon talisman. C’est décourageant. J’aurais dû y aller moi-même.

— Et Simon ? demanda Jenna. Est-ce que papa l’a retrouvé ? Et pourquoi ne nous a-t-il pas envoyé un message à nous aussi ?

— Ça ne lui ressemble pas, grommela Nicko.

— En effet, acquiesça Marcia. Cette lettre est beaucoup trop polie.

— Ça doit venir du mandataire, hasarda tante Zelda.

— C’est quoi, un mandataire ? questionna à nouveau Nicko.

— Une sorte d’intermédiaire. Quelqu’un d’autre a remis le message au Bureau des Rats. Silas a dû être empêché de s’y rendre. Cela ne me surprend guère. Je me demande qui peut être ce fameux mandataire ?

Stanley se tut, alors qu’il savait pertinemment que le mandataire n’était autre que le custode suprême. S’il n’était plus assermenté, il demeurait soumis au règlement du Bureau des rats, lequel interdisait de divulguer les conversations qui avaient lieu à l’intérieur du service. Toutefois, il se sentait mal à l’aise. Ces magiciens avaient pris soin de lui et lui avaient probablement sauvé la vie. Il gigotait nerveusement, les yeux fixés à terre. Il se passait quelque chose de louche et il n’avait aucune envie d’y être mêlé. Cette mission avait été un véritable cauchemar, du début à la fin.

Marcia se dirigea vers le bureau et referma bruyamment son livre.

— Comment Silas ose-t-il faire fi de mon talisman ? dit-elle d’un ton rageur. Il semble ignorer que les magiciens ordinaires n’ont d’autre but que de servir la magicienne extraordinaire. Je ne souffrirai pas davantage cet esprit d’insubordination. J’ai la ferme intention de le retrouver et lui dire ma façon de penser.

— Croyez-vous que ce soit sage ? objecta Zelda.

— Je suis toujours la magicienne extraordinaire du Château et je ne me laisserai pas évincer.

— Vous feriez bien d’attendre demain, suggéra tante Zelda, pleine de sagesse. On dit que la nuit porte conseil.

Quelques heures plus tard, éclairé par la lumière vacillante des flammes, 412 écoutait la respiration sifflante de Nicko et celle, parfaitement régulière, de Jenna. Il avait été tiré du sommeil par les ronflements sonores de Maxie qui traversaient le plafond. Maxie était censé dormir en bas, mais il avait gardé l’habitude de monter discrètement se coucher sur le lit de Silas quand il croyait passer inaperçu. Le fait est que lorsqu’il se mettait à ronfler en bas, 412 lui filait un coup de coude qui l’encourageait à prendre ses distances. Mais ce n’étaient pas uniquement les ronflements d’un chien-loup atteint de sinusite qui avaient réveillé 412.

Les craquements du parquet au-dessus de sa tête... Des pas furtifs dans l’escalier... L’antépénultième marche qui grinçait... Quelqu’un - ou quelque chose - approchait. Toutes les histoires de fantômes qu’il avait entendues lui revinrent à la mémoire. Puis il perçut le bruit feutré d’une étoffe qui glissait sur les dalles et comprit que ça se trouvait dans la même pièce que lui.

Il se dressa très lentement sur son séant, le cœur battant à tout rompre, et scruta la pénombre. Une silhouette sombre se dirigeait doucement vers le livre que Marcia avait laissé sur le bureau. Elle venait de le fourrer sous sa cape quand elle distingua le blanc des yeux de 412 qui tranchait sur l’obscurité.

— C’est moi, chuchota Marcia en lui faisant signe d’approcher.

Il se dégagea sans bruit de son édredon et la rejoignit, pieds nus sur les dalles froides.

— Je me demande qui pourrait trouver le sommeil dans la même pièce que cet animal, murmura Marcia avec humeur.

412 eut un sourire penaud. Il se garda bien de lui dire que c’était lui qui avait chassé Maxie vers l’étage.

— J’ai décidé de me transporter au Château. Pour plus de sécurité, je vais emprunter la passerelle de Minuit. Rappelle-toi que les minutes qui précèdent et suivent immédiatement minuit sont les plus sûres pour se transporter. Surtout quand tout porte à croire qu’on est attendu par des gens mal intentionnés. Je vais me rendre aux portes du palais et voir si j’y trouve Silas. Quelle heure est-il ?

Elle sortit sa montre.

— Minuit moins deux minutes. Je serai bientôt de retour. Peut-être pourrais-tu avertir Zelda...

Marcia arrêta ses yeux sur 412 et il lui revint qu’il n’avait pas prononcé un mot depuis qu’il leur avait indiqué son grade et son matricule à la tour des Magiciens.

— Bah ! Aucune importance. Elle devinera où je suis allée.

Tout à coup, 412 pensa à quelque chose d’important. Il fouilla dans la poche de son chandail et en tira le charme que Marcia lui avait donné quand elle lui avait proposé d’être son apprenti. Il regarda avec un peu de regret les minuscules ailes d’argent posées sur sa paume. L’or et l’argent étincelaient au contact du halo magyque qui commençait à entourer Marcia. 412 tendit les ailes à cette dernière, songeant qu’il n’avait aucune raison de les garder. A l’évidence, il ne deviendrait jamais son apprenti. Mais Marcia secoua la tête et s’agenouilla près de lui :

— Non. J’espère toujours que tu changeras d’avis. Réfléchis-y pendant mon absence. Minuit moins une minute... Eloigne-toi.

La température chuta brusquement près de Marcia ; une puissante vague de Magyk l’enveloppa, chargeant l’air en électricité. 412 battit en retraite vers la cheminée, à la fois effrayé et fasciné. Marcia ferma les yeux et récita une formule longue et compliquée dans une langue qu’il entendait pour la première fois. Puis la même aura magyque qu’il avait déjà vue alors que la Muriel abordait la passe de Deppen se forma autour d’elle. D’un geste vif, Marcia ramena sa cape sur sa tête de manière à la couvrir entièrement. Au même moment, la couleur pourpre de l’étoffe se fondit dans le halo magique. Il y eut une sorte de chuintement, comme si de l’eau avait coulé sur du métal chauffé au rouge, et Marcia disparut, ne laissant qu’une ombre diffuse qui subsista quelques secondes.

À minuit passé de vingt minutes, une section de gardes surveillait les portes du palais par un froid de loup, comme elle le faisait depuis cinquante longues nuits. Les hommes transis s’attendaient à passer encore des heures interminables à battre la semelle et se moquer du custode suprême. Il s’imaginait que l’ex-magicienne extraordinaire allait tout à coup surgir du néant, comme par enchantement ! Bien sûr, elle ne s’était jamais montrée et il y avait peu de chance pour que cela arrive un jour. Pourtant, il persistait à les faire poireauter dehors jusqu’à ce que leurs orteils se transforment en glaçons.

Aussi, quand une ombre cramoisie apparut au milieu de leur groupe, aucun des gardes n’en crut ses yeux.

— C’est elle, murmura l’un d’eux, à moitié rassuré.

Soudain, la Magyk se mit à tourbillonner dans l’air en envoyant des décharges électriques (très désagréables) dans leurs casques en métal noir. Les gardes dégainèrent leur épée tandis que l’ombre prenait la forme d’une silhouette humaine, drapée dans une cape pourpre.

La magicienne extraordinaire, Marcia Overstrand, se matérialisa au beau milieu du comité d’accueil préparé à son intention par le custode suprême. Privée de son talisman et de la protection de la passerelle de Minuit (elle avait vingt minutes de retard), elle fut prise de court quand le capitaine de la garde arracha l’amulette d’Akhentaten de son cou.

Dix minutes plus tard, Marcia était couchée sur le sol du donjon numéro un (un puits sombre et profond, enfoui dans les fondations du Château), à moitié assommée et cernée par le vortex d’ombres et de spectres que DomDaniel s’était fait un malin plaisir de convoquer tout spécialement pour elle. C’était la pire nuit de toute sa vie. Elle gisait, impuissante, au milieu d’une flaque d’eau croupie, sur les os empilés des précédents occupants du donjon, harcelée par les plaintes et les hurlements des ombres et des spectres qui tournoyaient autour d’elle et aspiraient ses pouvoirs magiques. C’est seulement le lendemain (grâce à un fantôme égaré qui avait traversé le mur du donjon numéro un par le plus grand des hasards) que quelqu’un d’autre que DomDaniel et le custode suprême sut où elle se trouvait.

L’Ancien conduisit Alther auprès d’elle, mais il pouvait seulement lui tenir compagnie et l’exhorter à rester en vie. Il dut faire appel à toute sa persuasion, car Marcia était inconsolable. A cause d’un mouvement de colère, elle avait perdu tout ce pour quoi Alther avait lutté en destituant DomDaniel. Ce dernier portait à nouveau l’amulette d’Akhentaten autour de son cou gras. C’était lui, et non elle, le magicien extraordinaire.

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